CHIRURGIE CARDIAQUE : TOUTE UNE HISTOIRE


 Près de 50 ans après les premières greffes, la chirurgie cardiaque a gagné son pari : les techniques sont maîtrisées et les patients transplantés profitent pleinement de leur « seconde vie ». L’aboutissement d’une longue histoire ponctuée de petites et grandes victoires.

 

Si le nom de Christiaan Barnard reste gravé dans les mémoires, c’est, au-delà de son talent, grâce à la pugnacité des pionniers de la discipline. Car pour pouvoir réaliser la première greffe cardiaque humaine en décembre 1967, le célèbre chirurgien sud-africain a pu capitaliser sur les travaux de ses prédécesseurs et sur la collaboration active entre chercheurs et cliniciens. Une histoire qui commence à s’écrire dès le XVIIe siècle.


Coup de pied dans la fourmilière

               

En publiant en 1628 un ouvrage démontrant que la circulation sanguine s’opère en circuit fermé et que le cœur en est la pompe, l’Anglais William Harvey s’attire les foudres de l’Eglise et de la Faculté de médecine. C’est en effet toute la théorie séculaire de Galien qui est mise à mal, laquelle fait du foie le centre de la circulation sanguine.

La polémique est tranchée par Louis XIV qui impose que la circulation sanguine soit enseignée et autorise la population à bénéficier de cours dispensés dans un amphithéâtre au Jardin des Plantes. L’histoire de la chirurgie cardiaque est en marche.

 

Bien d’autres pistes seront explorées au cours des siècles mais Alexis Carrel franchit une étape décisive avec ses travaux sur la suture des vaisseaux et la transplantation cardiaque. Ces derniers lui valent d’ailleurs le prix Nobel de médecine en 1912. Si ses techniques de suture vasculaire sont toujours enseignées aujourd’hui, ses plaidoyers récurrents en faveur de l’eugénisme en ont fait un personnage pour le moins controversé. C’est  finalement la prouesse chirurgicale de Christiaan Barnard qui permettra au monde entier de mesurer les progrès réalisés dans ce domaine.

 

Vivre avec le cœur d’un autre

 

Le professeur Christiaan Barnard est sud-africain. Il a tout appris du maître de la transplantation, l’Américain Norman Shumway, et il est techniquement au point.

Le 3 décembre 1967 au Cap, il greffe Louis Washkansky, 55 ans, avec le cœur d’une jeune femme de 23 ans. Le patient ne survit que 18 jours mais une nouvelle ère est née. Dès lors, les tentatives se multiplient. En France, la première transplantation cardiaque est réalisée le 27 avril 1968 par les Professeurs Cabrol, Guiraudon et Mercadier à l’hôpital de la Salpêtrière. Le 4 avril 1969, le Docteur Danton Cooley pose le premier cœur artificiel. Si ces transplantations marquent les esprits, la partie n’en est pas gagnée pour autant : les deux patients ne survivent respectivement que 56 et 64 heures. C’est ensuite le Père Boulogne, en insuffisance cardiaque, qui se porte candidat à la greffe en mai 1968. Il survivra cinq mois à l’opération.

Tous les spécialistes de la greffe rompus aux techniques de la transplantation le savent bien : seule la découverte d’un traitement efficace contre le rejet pourra changer la donne.


La révolution de la ciclosporine

 

Ce traitement anti-rejet, c’est le Suisse Jean-François Borel qui va le découvrir en 1972. Baptisé ciclosporine, cet agent immunosuppresseur sera utilisé pour la première fois le 9 mars 1980 lors d’une transplantation hépatique sur une patiente de 28 ans. Avec cette découverte, la chirurgie cardiaque va franchir un pas de géant et la vie des patients va s’en trouver radicalement changée. Grâce à la ciclosporine, il est en effet possible aujourd’hui de vivre avec le cœur d’un autre. Serge Rochet en sait quelque chose, lui qui détient  aujourd’hui le record de longévité après transplantation cardiaque : 36 ans de greffe en 2 transplantations. Chaque jour apporte son lot d’espoirs.

 

Et demain ?

 

L’histoire était loin d’être écrite lorsque les pionniers de la médecine ont bousculé les certitudes au début du XVIIe siècle ; elle ne l’est pas plus aujourd’hui. Les perspectives d’avenir existent et certaines pistes sont plus que prometteuses.

 

A commencer par celle de la thérapie cellulaire. La technique consiste à fixer un patch contenant des cellules souches issues d’embryons humains cultivés selon un procédé mis au point par le Pr Jérôme Larghero. Objectif : régénérer le tissu du muscle lésé. Le Pr Philippe Ménasché et son équipe travaillent depuis plusieurs années à « réparer » des cœurs qui ont par exemple subi un infarctus du myocarde.

 Le cœur artificiel intéresse également les chirurgiens cardiaques. Mis au point par la société Carmat, il a été implanté sur deux patients (décembre 2013 et août 2014) qui sont aujourd’hui décédés, respectivement 75 jours et 9 mois après l’opération. Une troisième bioprothèse a été implantée fin avril 2015 à l’hôpital européen Georges-Pompidou à Paris. La technique est pour l’instant considérée comme une solution d’attente mais qui elle a le mérite de pallier la pénurie de greffons.

 

De même, les dispositifs d’assistance ventriculaire gauche (ou DAVG) s’affichent comme des voies de développement considérables. Il s’agit d’implanter un appareil de type pompe mécanique qui permet de conserver l’aptitude à pomper d’un cœur défaillant. Cette technique est particulièrement intéressante pour les patients en attente de greffe.

L’OMS impute un tiers des décès mondiaux aux maladies cardio-vasculaires. Mais ce constat n’est pas une fatalité. Dans ce domaine, comme dans bien d’autres, la science va vite. En attestent les progrès considérables qui ont marqué la discipline dans les deux dernières décennies. Autant d’espoir pour tous les patients souffrant d’insuffisance cardiaque.


Marseille la battante

« Nous sommes tous receveurs, soyons donneurs ! » Ce credo du Professeur Frédéric Collart, chef du service de chirurgie cardio-thoracique à la Timone à Marseille, résume à lui seul la démarche qui sous-tend l’initiative « Marseille capitale du don ». La mobilisation est au niveau de l’enjeu : en 2013, la France comptait plus de 18 900 personnes en attente de greffe. La chirurgie cardiaque n’échappe pas à la règle : selon l’Agence de la biomédecine, 410 greffes du cœur seulement ont pu être réalisées en 2013.

 

Pourtant, la réputation de Marseille dans le domaine de la greffe cardiaque n’est plus à faire. Pas moins de 400 patients y ont reçu le cœur d’un donneur, la dernière  implantation ayant été réalisée début mai 2015 sur un patient âgé de 40 ans.

En chiffre

En 2013, 75 patients en attente de greffe cardiaque sont morts et 870 patients ayant besoin d'une greffe de cœur étaient inscrits sur la liste nationale d'attente. Seules 410 greffes ont été pratiquées, soit deux candidats pour un greffon utilisable. 4 272 malades vivent avec un greffon cardiaque.


 Dans les pas

d’Emmanuel Vitria

Qui ne se souvient pas de ce Marseillais haut en couleur ? Surnommé affectueusement « Bicou », Emmanuel Vitria a longtemps été un symbole de courage et espoir pour de nombreux malades. Opéré le 27 novembre 1968 à Marseille par l’équipe du Pr Edmond Henry, « Bicou » n’a pas ménagé sa peine pour faire la promotion de la greffe, devenant ainsi l’égérie des campagnes en faveur du don d’organes. Emmanuel Vitria a longtemps détenu le record de longévité pour un greffé du cœur (6 738 jours). Il s’est éteint en 1987, soit 18 ans et demi après sa transplantation. 


F. Vincent